Boris le Babylonien...

Publié le par JP

... contre l'aligot littéraire.

 

 

Vous allez dire "encore ??" et vous aurez sans doute raison. Eh oui, après le désormais culte "Brûlons tous ces punks pour l'amour des elfes", me voilà en train de chroniquer "Boris le babylonien contre l'aligot littéraire" du même Julien Campredon. Serait-il en passe de devenir un auteur incontournable ? Je l'ignore et ce n'est pas à moi d'en décider. Seulement voilà, le jeune homme (il serait né en 1978 selon ses biographes, petit con va !) a eu la faiblesse de m'adresser sa nouvelle, avec ce petit mot griffonné de sa main tremblante d'émotion,

"À Jean-Pierre,

En espérant gagner son cœur d'incorruptible."

Une telle attaque ne pouvait demeurer gratuite. Je me devais de réagir et de la plus brutale des manières qui soient. Une réaction violente, incendiaire, assassine.

 

L'objet, tout d'abord. De petite taille, de belle facture, il sort de l'atelier du Gué, éditeur créé en 1975, à Villelongue d’Aude (11), par Daniel et Martine Delort. Grâce à Internet et à l'habilité de mes petits doigts boudinés j'ai réussi à apprendre que l’Atelier du Gué était une structure artisanale d’édition indépendante, attachée à la qualité des gestes de la fabrication comme à ceux de la création. Je sais également que son domaine privilégié est celui de la nouvelle et du texte court.

Pour de plus amples informations(et d'éventuelles commandes si vous êtes intéressés):

http://www.atelierdugue.com/

 

L'intrigue ensuite: Un Provincial monte à Paris pour découvrir le Salon du Livre. Il a un concept nouveau à y présenter, un microfilm, et un contact : Boris, jeune journaliste récemment passé à la télévision. On trouvera dans cette fiction déjantée, des coups de feu, un cadavre dans un placard à balais, mais surtout une critique amusée d’un univers sous chapiteau, formidable cirque propre à la plus sévère des critiques et à l’autodérision littéraire (dixit le 4éme de couverture).

 

Extrait:

" Le Salon était organisé selon un quadrillage de bataille navale, avec les gros éditeurs au centre, les stands régionaux répartis en bordure de l’axe chiffré, tandis qu’à l’entrée, côté lettres, on trouvait plutôt des tentes et des petits jardins installés à la gloire de journaux ou de revues dont on ne comprenait pas le lien avec l’événement littéraire. [...] Ça ressemblait à une très grande librairie dans laquelle il n’y aurait ni bibliophiles, ni même des gens qui aiment les gens... "

 

Mon avis enfin: Texte court agrémenté d'un glossaire pour le moins saugrenu, ce petit OLI (Objet Littéraire Identifié) est doublement jouissif. L'histoire en elle-même et son côté déjanté tout d'abord. Un jeune Provincial monte à la capitale affronter le monde bien-pensant des belles-lettres, son projet gonzo sous le bras… la forme, ensuite, qui est pour le moins originale et amusante (et fait, à elle seule, de ce petit opuscule un livre indispensable).

Mais avant d'en arriver là, mon conseil de lecture: Faites comme moi, piochez en premier lieu dans le glossaire bourré de définitions du genre:

Putain de pédé, tata, etc. : Expressions homophobes qui ne peuvent être utilisées sans un permis de port de mots tendancieux (nègre, aryen et carcassonnais en font partie). Si vous êtes raciste, homophobe voire fasciste, vous pouvez alors vous dispenser de cette formalité mais vous ne serez plus les bienvenus sur les routes du pays Cathare.

Ou encore:

Province (La): c'est très joli.

Cela vous mettra en appétit et surtout, vous permettra de mieux appréhender la lecture de la nouvelle proprement dite. Car nous sommes face à un véritable concept. Au-delà de la sombre critique d'un monde fait d'apparences et d'ententes intéressées (et dont l'ultra violence m'échappait jusque là), Julien Campredon a rédigé un texte dans le plus pur style Oulipien. Qu'il s'en défende ou non, peu importe, car le résultat est là. En effet, le glossaire renvoie au texte tout comme le texte s'abreuve du glossaire. Et le fait qu'une définition d'Oulipo y apparaisse à la lettre O n'y est sans doute pas étrangère.

Oulipo: Sous l'impulsion de Raymond Queneau se constitue en 1961 un groupe d'écrivains et affiliés qui proposent un nouveau process littéraire: l'ouvroir des littératures potentielles. Il s'agit d'écrire sous contraintes, celles-ci n'étant pas nécessairement mises à la connaissance du public. Elles suscitent alors une telle jubilation que les écrivains écrivent. Ou trouve, dans les membres ou sympathisants de l'Oulipo, Italo Calvino ou Georges Pérec; par contre, selon toutes vraisemblances, Maurice Chevalier n'y a jamais adhéré.

Cette découverte donne au lecteur un second niveau de compréhension. Celle qui, de nouvelle lambda (mâtinée, qui plus est, d'une certaine agressivité à l'encontre du monde littéraire en particulier et culturel en général) fait passer ce texte au rang d'OLI, à classer quelque part entre un Pérec (en version punk) et un Queneau (en version énervé). Ça tire dans tous les sens, ça tacle au niveau des genoux, ça meurtri, ça découpe, bref, ça ne fait pas concession et pour qui sait s'amuser, ça donne plaisir et joie.

 

Et quand on pense que tout ça ne coûte que 5 € et se lit en moins d'une demi-heure, pourquoi se priver ?!

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