Malheur aux gagnants, seules les femmes sont éternelles.

Publié le par JP Favard

Double chronique pour un seul et même thème. Le centenaire des célébrations de "la grande guerre" (comme si une guerre pouvait être "grande", mais passons...) s'achèvera l'année prochaine. De nombreux films, documentaires et expositions sont d'ores et déjà revenus sur ces quatre années terribles. Je n'y reviendrais donc pas moi-même (et d'ailleurs, qui suis-je pour oser le faire ?). Non, si j'aborde ce thème aujourd'hui c'est parce que deux de mes récentes lectures ont, chacune à leur manière, fait du premier conflit mondial le décor de leurs intrigues (plus ou moins directement). Et là non plus, ce n'est certainement pas un hasard. Et lorsque je vous aurai dit que, l'un comme l'autre, aborde le sujet sous l'angle de l'enquête policière décalée... en partant d'un fait historique avéré... et peu connu... Car la guerre, en tant que telle, et celle-ci en particulier, donne naissance à des situations "extra-ordinaires" (dans le sens le plus littéral du terme). Les hommes, partis au combat, qui va pouvoir mener l'enquête ? Les femmes bien entendu ! C'est en tout cas le parti pris par Frédéric Lenormand dans son nouveau roman, "Seules les femmes sont éternelles". Mais quelques hommes aussi, et pas n'importe lesquels, des gueules-cassées dont le destin, tragique s'il en fut, a donné à Julien Heylbroeck matière à fiction (on est ici en 1935 mais ils sont les "produits" directs de ce conflit-là).

Amusant de constater comme ces deux textes se répondent, au-delà de leur seul contexte (on parle du conflit mais jamais on ne le voit, c'est un élément du décor, celui qui est à l'origine de la situation). Ainsi, chez Frédéric Lenormand, un inspecteur, peu enclin à rejoindre le front, se travestit en femme (comme, en son temps, le dénommé Paul Grappe, soldat déserteur, s'était travesti en femme pour éviter les tranchées) et finit par rejoindre une agence de détectives qu'il ne tarde pas à marquer de son empreinte, découvrant pour le coup un complot et son goût immodéré pour les chapeaux (et les chaussures). Cette histoire vaut, comme toujours chez cet auteur et tout particulièrement avec ses derniers ouvrages, pour cet humour omniprésent qui traduit les sentiments et assène quelques vérités bien senties sans en donner l'air. On assiste même ici et en ce domaine particulier à un véritable festival. C'est dynamique, efficace et sans fausse note.

 

Extrait:

"Leur intérieur était trois fois trop meublé, comme il était d'usage depuis que la Révolution industrielle avait permis à une bourgeoisie triomphante d'entasser chez elle bien plus d'objets qu'il n'était nécessaire ou de bon goût. Les secrétaires de style pseudo-moyenâgeux côtoyaient les tables aux pieds arqués façon Louis XV, tout cela était recouvert de napperons et de tout ce que l'ingéniosité humaine savait fabriquer de compliqué et d'inutile." (page 146).

 

Julien Heylbroeck, de son côté, part d'un autre fait historique tout aussi avéré (et peu connu) : la participation des gueules-cassées au développement de la loterie nationale, destinée, pour partie et à l'origine, à les aider financièrement. Et en fait le prétexte d'un roman noir (on dessoude les gagnants sans leur voler leur magot...). Une équipe de blessés de guerre va donc mener l'enquête (car c'est le principe même de la loterie qui est mise en péril, les joueurs redoutant désormais, et c'est un comble, de gagner. Et par là même de trépasser...). Un roman vif et enlevé, dont les héros, lourdement handicapés, ne s'en laissent pas compter pour autant (et où l'on retrouve, au détour de certains passages, quelques clins d’œil de l'auteur à ses sujets de prédilection (les rats et le végétarisme), ainsi qu'un certain Robert, fournisseur de fascicules, que d'aucun ne manqueront certainement pas d'identifier).

Deux visions donc, deux modes de traitement aussi, mais deux enquêtes dont on suit la progression avec un égal plaisir (plus noir chez Julien, plus léger chez Frédéric).

 

Titre : Seules les femmes sont éternelles (une enquête de loulou Chandeleur).

Auteur : Frédéric Lenormand.

Éditions : La Martinière. 286 pages, 18,50 euros.

http://www.editionsdelamartiniere.fr/ouvrage/seules-les-femmes-sont-eternelles/9782732486666

 

 

Titre : Malheur aux gagnants.

Auteur : Julien Heylbroeck.

Éditions : Les moutons électriques. 256 pages, 17 euros.

http://www.moutons-electriques.fr/malheur-gagnants

 

 

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