Paul Auster. Seul dans le noir.

Publié le par JP

 



 

La grâce. Comment expliquer autrement ? Certains auteurs ont un don, d’autres sont des besogneux. De plus rares ont de la chance. Et certains, ne nous voilons pas la face, ont juste des relations. Paul Auster, lui, a la grâce. Une fluidité maîtrisée, un style efficace. Une capacité à mêler, entremêler, mélanger sans jamais perdre son lecteur. Son nouveau roman, " Seul dans le noir ", est un modèle, une pépite, un joyau. Comment dire ? Une réussite. Pleine. Totale. Envoûtante. Il y a un homme, alité à la suite d’un accident. Autour de lui deux femmes. L’une est sa fille, l’autre sa petite-fille. Il est critique littéraire. Il a eu le Pulitzer. C’est une pointure. Sauf qu’il ne peut plus bouger. Qu’il reste alité. Alité et insomniaque. Alors, pour ne pas devenir fou, il invente une histoire. Il se raconte une histoire. L’histoire d’un homme. Confronté à un monde qui n’est pas le sien. Dans lequel il y a la guerre. Où le 11 septembre 2001 a bel et bien existé mais où aucun avion ne s’est encastré dans les twin towers.

Paul Auster vit à Brookline. Le jour des attentats, il a failli perdre sa fille (quelques minutes auparavant elle était passée en métro sous les deux tours). Il a vu des papiers enflammés tomber dans son jardin. Des lettres à entête. Avec adresse à Manhattan, World Trade Center.

On confie une mission à cet homme. Une mission simple. Tuer celui qui est à l’origine de cette guerre. Faire en sorte que revienne la paix. Et c’est le début de l’escalade. En fait, il s’agit avant tout d’une mise en abîme.

D’une réflexion sur l’acte même de création.

D’une formidable leçon d’écriture.

 


Paul Auster sera l’invité unique de l’émission " La grande librairie " le jeudi 15 janvier (France 5). Son roman est sorti chez Actes Sud. Il coûte 19.50 €.

 


Extrait :

 


" Je trouvais terrible qu’un homme aussi particulièrement fort, sensible, lumineux que mon père pût s’affaiblir, diminuer, et devenir finalement d’une immobilité et d’une blancheur de fantôme. Et pourtant, alors que son pas était hésitant et son ossature celle d’un spectre, sa dignité restait la même qu’au temps de son plus grand orgueil et il se tenait, avec un contrôle de soi tout militaire, droit comme jamais. Il ne manquait pas de venir vêtu de sa plus belle jaquette noire à la table du dîner, où le caractère extrêmement prosaïque de la chère ne nuisait en rien à la distinction du repas. Il haïssait l’échec, la dépendance et le désordre, les infractions aux règles et le dégoût de la discipline, comme il haïssait la couardise. Je ne saurais dire à quel point il me semblait courageux. La dernière fois que je l’ai vu, il quittait la maison afin d’entreprendre ce voyage recommandé pour sa santé qui le mena soudain dans l’autre monde. Ma mère devait l’accompagner à la gare – elle qui, à l’instant où il fut réputé être mort, chancela et gémit, malgré la distance qui les séparait, en nous disant que quelque chose semblait la priver de toute force ; en ce jour d’adieu, à peine pouvais-je garder les yeux posés sur sa silhouette contractée et souffrante. Mon père savait certainement ce qu’elle pressentait vaguement : qu’il ne reviendrait jamais.

Telle la figure de neige d’un homme inébranlable mais vieux, très vieux, il s’arrêta un moment pour me regarder. Ma mère sanglotait en marchant côté de lui vers la voiture. Depuis, au soleil, dans la tempête, au crépuscule, il n’a cessé de nous manquer. "

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