Cartographie des nuages. D. Mitchell.

Publié le par JP

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"Cartographie des nuages". David Mitchell. Éditions de l'Olivier.

 

C'est un livre étrange à défaut d'être un étrange livre. Plusieurs histoires qui se répondent et se font échos. On débute avec un carnet de voyage, on poursuit avec un amateur de musique qui devient le porte plume d'un vieux compositeur malade (et au passage l'amant de sa femme), un vieil homme qui se fait enfermer dans une maison pleine de zombies, une journaliste qui tente de faire éclater un scandale nucléaire, un clone qui s'affranchi de son destin, un gars des îles qui découv' la vraie vie et soupçonne l'entourloupe… et tout cela en une poignée de pages où l'on plonge et se délecte. Mais là où beaucoup tourneraient en rond et vagabonderaient chaussés de leurs gros sabots, David Mitchell, lui, avance sur la pointe de ses pieds finement chaussés. Bien sûr, certains détails attirent l'attention, ouvrent des pistes, font comprendre des choses, mais ce qui est notable (et remarquable) dans cette intrigue, c'est la facilité avec laquelle son auteur sait s'adapter au contexte de l'histoire qu'il est en train de nous narrer. Par le style. La mise en page. Tour à tour, froid comme un rapport de police ou imagé et vivant à la manière d'une rédaction rédigée par un adolescent perturbé. Daté. Actuel. Futuriste. Passéiste. Mitchell réussi là où beaucoup se sont fendus les gencives avant lui. Il parvient à s'adapter. À se mettre au service de sa création. On se souvient du "À l'estomac" de Chuck Palahniuk (que je vénère par ailleurs, au point de songer à demander sa béatification et à créer une religion dont il serait le messie… mais si. Bon d'accord, c'est peut-être un peu exagéré, je le reconnais. Surtout quand on sait que je milite déjà pour la canonisation de l'inventeur du Pim's…). Il s'agissait, rappelez-vous, d'une histoire où plusieurs auteurs, enfermés et malmenés, se livraient à la création romanesque. Or, chacune de leurs nouvelles (excellente pour nombre d'entre elles) demeuraient marquée de la patte du grand Chuck. Toujours le même style. Le même phrasé. Le même côté barré (voire dangereusement descriptif). Or là, chaque partie du roman de David Mitchell est propre à son personnage (et non à son auteur). À croire que celui-ci a choisi de se laisser guider plutôt que de maîtriser sa création. Un parti pris pour le moins "casse gueule" dont il se sort avec brio et panache. Et quand en plus il parvient à balancer quelques analyses pertinentes sans en avoir l'air, je n'ai qu'un seul mot à dire : Bravo !

 

Extrait:

 

" Le conflit auquel prennent part l’industrie et les militants est analogue à un combat qui opposerait la narcolepsie à la mémoire. L’industrie dispose d’argent, de pouvoir et d’influence. Provoquer l’indignation de l’opinion publique, voilà notre seule arme. C’est en faisant éclater le scandale que la construction du grand barrage du Yuccan a pu être évitée, que Nixon a été évincé du pouvoir, que l’on a contribué à mettre un terme aux monstruosités commises au Vietnam. Mais le scandale est un produit dont l’élaboration et la manipulation sont complexes. Pour ce faire, nous devons d’abord capter l’attention générale ; ensuite, il faut une prise de conscience collective ; et si celle-ci atteint une masse critique, alors le scandale explose. L’opération est susceptible de capoter à n’importe quelle étape. Les Alberto Grimaldi de la planète peuvent détourner l’attention générale en ensevelissant la vérité sous des rapports de commissions, en jouant sur la désinformation, en tablant sur la lassitude ou en intimidant ceux qui suivent les événements de près. Ils abrutissent les consciences en rabaissant le niveau d’éducation, en achetant des chaînes de télévision, en versant des " indemnités d’hôtes " à ceux qui dans le monde de l’écrit font autorité ou en arrosant simplement les médias. Dans les pays démocratiques, la place médiatique est le front sur lequel les guerres civiles se déroulent. " (page 163)

 

Pour en savoir plus, critique parue dans le magazine LIRE: http://www.lire.fr/critique.asp/idC=51219/idR=217/idG=4

Ps: Un nouveau texte de moi à lire sur le site de Monsieur Toussaint Louverture (voir liens utiles et ne surtout pas hésiter à en abuser).

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