Le sang des femmes, Patrice Dupuis.

Publié le par JP Favard

Patrice Dupuis produit peu (en quantité) mais produit bien (en qualité). Et même si son dernier opus en date est un cran en-dessous du précédent qui reste, à mes yeux, le mètre étalon de sa production ("Le voyage des enfants perdus", même éditeur), il n'en demeure pas moins que ce sang des femmes-là ne saurait laisser indifférent.

Trois nouvelles (additionnées d'un prologue et d'un épilogue), dont la dernière, la plus courte (hors épilogue), est, à mes yeux, celle qui mérite le plus le détour. On y retrouve en effet toute la fluidité de son style. Toute l'aisance narrative de l'auteur. Mais aussi, certaines de ses obsessions. Car comment qualifier autrement ces incessants retours au mal, à la condition féminine sacrifiée, bafouée, malmenée ? A l'amour torturé quand il n'est pas, purement et simplement, impossible ? Mais surtout, comment expliquer qu'un être aussi doux et prévenant que Patrice Dupuis (portant, qui plus est, nombre de chemises colorées) puisse être à ce point habité par une noirceur aussi... oppressante ? Des obsessions, donc (je ne trouve pas de terme plus adapté, vous m'en voyez désolé) à ce point... obsédantes.

Comme je l'indiquais, Patrice Dupuis est, dans la vie, un homme charmant. Mais obsédé. Et son obsession à lui, c'est le mal qui peut être fait aux femmes. La dénonciation de l'injustice (son très court épilogue en est le reflet autant que l'illustration).

Sous couvert de nouvelles isolées, c'est à la découverte d'un lieu étrange qu'il nous invite ici (chaque texte y prend place, les personnages s'y croisent parfois, leur souvenir en tout cas y est présent et y demeure). Une abbaye, donc, où ne vivent que des femmes. Parfois imparfaites, parfois monstrueuses (comme les sœurs siamoises de «La serrure à secret» (que l'on avait déjà rencontrées, dans un format plus réduit, au sein de l'anthologie « Naissance des deux crânes » paru aux éditions du même nom) et, quoi qu'il en soit, toujours victimes. Autre obsession sans doute assumée, ou plutôt devrais-je dire : autre fascination revendiquée, celle de la maternité. Ici reprise dans ce qu'elle a de plus beau comme ce qu'elle peut avoir de plus étrange – voire de plus monstrueux (et j'en reviens, une nouvelle fois, à « Une pause dans l'éternité » dernière nouvelle de cet opus).

 

Extrait(s):

"Au terme de son examen, le verdict fut sans appel: Magdalène était enceinte! A neuf ans, cela paraissait impossible! L'événement tenait doublement du miracle, car selon dame Carigan l'enfant n'avait pas subi les outrages de la défloration, l'hymen étant intact; et selon la mère, la fillette n'avait pas encore perdu le sang qui aurait dû faire d'elle une femme... [...] la réponse du pape arriva quelques semaines plus tard, en une sentence lapidaire: "s'il naît un garçon, envoyez-le à Rome. Il sera promis à une grande et heureuse destinée. Nous y veillerons. S'il naît une fille, un cloître devra offrir l'hospitalité perpétuelle à la mère comme à l'enfant. Dieu pourvoira à leur félicité. Cet ordre ne doit souffrir aucune dérogation. Il y va du salut de notre sainte église."

"Ce fut une fille qui vit le jour, comme on sait."

 

 

Titre: Le sang des femmes.

Auteur: Patrice Dupuis.

Editions: La Clef d'Argent, 99 pages, 9 €.

 

Présentation sur le site de l'éditeur :

http://clefargent.free.fr//lsdf.php

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